Je n’ai rien à dire. Ma langue sur le sol, bouche ouverte devant les surprises qui m’entourent. Mes yeux ne peuvent se fermer. Ce n’est pas seulement le doux son des marteaux piqueur qui me réveillent tôt le matin, mais la peur de manquer quelque chose. Je n’ai pas de train à prendre, mais mes valises sont toujours prêtes. J’attends l’aventure sur le pas de ma porte.
Je me suis mise au saut de haie. Je ne pensais pas que la barrière de la langue serait si haute. Mais j’ai de l’endurance. J’évite les pièges. Notamment celui de prendre ma carte dans la secte franco-française du Maroc. Je veux me fondre dans la masse.
La nuit me faisait peur. Car je sais que c’est le moment ou mes pieds vacillent. Mais Marrakech est la plus belle des femmes quand le soleil se couche. Elle devient électrique et le combat prend fin. Dans ma plus belle robe, c’est elle qui dirige mes hanches. Et dans l'ébullition d’une boîte de nuit, je me dis que finalement qui vivra verra. Je n’ai pas de soucis à me faire. Dans les bras d’un indigène, je m’imagine pieds nus dans le sable.
inch'allah.
P.

L'histoire commence. Sans passeport. L’aventure peut être une malédiction. Mais les dieux, ou je ne sais quel bordel qu’il y a au deuxième étage, sont avec moi. Et je suis accueillis dans l’avion comme l’enfant prodige.
C’est le bruit des réacteurs qui te scotche d’un coup à la réalité et au dossier de ton siège Royal Air Maroc. C’est définitif et irrémédiable, je suis au Maroc. Je prend le sentier détourné de ma destinée. Il est difficile de se défaire de l'irréel.
Marrakech est une ville que tu prend de plein fouet, à laquelle on se confronte. C’est un corps à corps. Il y a l’évidence de la chaleur, comme une personne assise sur tes épaules. Mais le soleil n’est pas mon plus féroce adversaire. C’est ma gueule de fromage blanc. Ma gueule de métèque qui leurs rappellent que je ne suis pas née dans le sable. Je suis la définition même du touriste. Et je ne peux m’en défaire. Et c’est ce combat que je mène, voiler ma différence. Pour mieux l’exploiter. Je ne veux pas vendre au souk ce que je suis.
Je me vêtis de méfiance chaque matin car je ne peux pas me laisser aller. Je sais que cela viendra un jour, mais à la vitesse d’un sablier. Grain par grain. Comme je l’expliquais à un enfant des rues, Marrakech est comme le renard du petit prince. je dois l'apprivoiser. Et vice versa. Je ne voudrais pas finir avec la tenue parfaire du colonialiste.
Mais on ne peut pas tout freiner. Et sans m’en être aperçus, je me retrouve à l'arrière d’une mobylette avec deux autres personnes. L’alcool accélère toujours les choses. Et les rencontres sont inévitables. J’ai beau fermer les yeux, j’ai déjà un pied dans la spirale. Et je me retrouve à crier «wili wili wili» dans la rue. La route est longue, mais le désert pas si loin.
Inch’allah.
P.